Février 1975.
En parcourant les rubriques du Nouvel Observateur, je tombe sur une petite annonce de 3 lignes où Nomade propose une traversée d’est en ouest du Sahara. Je me rends dans un sous-sol du quartier latin et assez rapidement je m’inscris sur la Trans-Sahara. La brochure de Nomade Expéditions, en noir et blanc, est attractive : les 3 compères qui présentent l’agence sont juchés sur un Land Rover tout neuf et une jolie photo montre le dos dénudé d’une jeune femme sur une plage.
Août.
Le matin du départ, devant l’agence, un vieux minibus tout blanc immatriculé en Grande-Bretagne stationne sous un panneau de stationnement interdit. Légère déception, ce n’est pas la Land Rover promise. Nous sommes une dizaine, garçons et filles, à y prendre place avec nos sacs à dos. Direction l’autoroute du sud.
Au bout de 200 km le minibus s’arrête dans un nuage de fumée noire. Assis sur le bas-côté, nous attendons la dépanneuse. Elle nous remorque et nous dépose dans une station-service. Quelques heures plus tard, un minibus anglais identique au précédent vient nous rechercher et nous repartons pour Marseille. La nuit tombe. Nous arrivons au petit matin juste à temps pour prendre le bateau pour Tunis.
Au port de Tunis un camion Saviem bleu, haut sur pattes, nous attend. Le chauffeur accompagnateur de Nomade est là à qui nous remettons une grosse enveloppe contenant l’argent du voyage. Nous descendons vers le sud à hauteur de Gabès. Commence le voyage, plein ouest, dans une ambiance joyeuse. Toute la troupe se baigne dans la Méditerranée avant d’affronter le désert.
Le passage de la frontière algérienne ne va pas être facile. Cinq mois plus tôt, en avril, Giscard d’Estaing avait été le premier Président de la République française à se rendre en voyage officiel en Algérie depuis l’Indépendance. Dans un camion brinqueballant, avec nos mines de routards, nous ne bénéficions pas du même accueil.
Les gardes-frontières nous font attendre et, finalement, nous disent que l’autorisation de rentrer en Algérie va dépendre d’un concours de tirs au but. Deux équipes de footballeurs, une française et une algérienne, sont constituées. Chacune avec un gardien de but. La partie se joue sur une dizaine de penalties. Sans problème, notre équipe l’emporte et nous passons la frontière.
Traversée du Grand Erg occidental. La fatigue et des dissensions internes commencent à saper le moral de la troupe. Au plus fort de la chaleur de l’après-midi, nous nous réfugions sous le camion. Le guide et une équipière entament une relation extraprofessionnelle un peu trop voyante et bruyante (la nuit). Une tempête de sable nous tétanise. Un couple abandonne et rentre en Belgique.
Frontière marocaine. Longue attente mais pas de compétition sportive. Figuig. Arrivent les montagnes du Haut-Atlas. Au moment d’attaquer la pente, les freins du camion lâchent. C’en est trop. Nouvelles défections dans l’équipe. Aidé du frein à main, le chauffeur réussit à continuer laborieusement jusqu’à Fès. Nous venons de parcourir près de 4 000 km en une quinzaine de jours. Nous ne sommes plus qu’une poignée à bord.
Le camion doit maintenant remonter jusqu’à Paris par l’Espagne. J’ai des obligations professionnelles qui m’attendent en France, je dois me marier prochainement … Prudemment, je décide donc de rentrer par avion avec Air France. J’abandonne ce qui reste de la troupe qui remonte sur Paris. (Le guide-chauffeur et sa conquête).
J’atterris à Paris. J’ai perdu 10 kilos mais je rapporte un sac de films super 8 en couleurs. Ma principale préoccupation aura été de maintenir ce sac et ma caméra au frais dans une serviette de toilette constamment arrosée d’eau.
Grâce aux films, je vais pouvoir revivre sereinement cette aventure et revoir tranquillement tous ces paysages de désert qui font tant rêver.
Je ne veux cependant pas en rester là. Quelque peu contrarié par cette aventure calamiteuse, je prends deux initiatives. D’abord, symboliquement, je brûle la brochure de Nomade. Et puis, j’écris une longue lettre, très documentée, au Nouvel Observateur pour faire le récit des incidents du voyage et leur enjoindre de ne plus faire paraître de petites annonces de Nomade.
Je me dis que, de toute façon, cette entreprise de voyages va sombrer d’elle-même et n’a aucune chance de survivre.
Près de 50 ans plus tard, je repartirai pourtant dans le Sahara occidental avec Nomade Aventure. Une randonnée d’une semaine en Mauritanie.
J’en reviendrai absolument enchanté.