Porté par l’association En Terre Indigène, le projet De la Mère à la Terre met en lumière les savoirs écologiques détenus par les femmes en Outre-mer, afin de préserver leurs identité et traditions. Parmi eux, la poterie wayana, un art perpétué par les Amérindiennes wayana au cœur de la forêt amazonienne en Guyane. Fidèle à son engagement pour un tourisme responsable, Nomade Aventure contribue au développement de communautés locales à travers le monde, en soutenant différents projets de ce type. Deux ateliers de transmission autour de la poterie wayana ont ainsi été financés au printemps 2024 par le voyagiste. Retour sur ce projet avec Anne Pastor, qui porte la voix des peuples autochtones, et Marie Fleury, ethnobotaniste spécialiste de la culture wayana.
Le projet De la Mère à la Terre
Anne Pastor est à l’origine du projet De la Mère à la Terre, consacré aux savoirs écologiques des femmes dans les Outre-mer. Elle rencontre les équipes de Nomade Aventure lors de l’événement « Un Bivouac dans la ville » dédié à la Nouvelle-Calédonie, alors qu’elle y est invitée pour présenter une exposition photo et des siestes sonores… Elle explique : « J’apprécie la manière différente de voyager que propose Nomade Aventure, je voulais associer le projet De la Mère à la Terre à ce genre de partenaires, qui souhaite soutenir les actions menées par les communautés locales. 80% du projet est réalisé en local ».
Anne Pastor produit la série « Voyage en Terre Indigène » sur France Inter et, c’est à cette occasion qu’elle rencontre les peuples autochtones de Guyane. Elle crée ensuite la plateforme documentaire « La Voix des Femmes Autochtones », 40 portraits photographiques et sonores dans 16 pays. Depuis 2023, elle porte le projet De la Mère à la Terre : « De la Mère à la Terre promeut les savoirs ancestraux écologiques et la capacité d’adaptation des femmes à travers la mise en place d’ateliers de transmission. Le but est de les aider à accéder à une meilleure autonomisation économique, mais aussi de leur donner des outils de formation et de plaidoyer afin de valoriser leurs savoirs et de mieux participer aux prises de décisions ». Porté par l’association En Terre Indigène, le projet se déroule sur trois années, de 2023 à 2026 en accompagnant 14 femmes de savoirs, avec 50 ateliers de transmission, des centaines d'interventions auprès des jeunes, une collection de 14 documentaires de 11 minutes, un film et un grand événement.
Le rôle des femmes d’Outre-mer dans la protection des écosystèmes
Dans les Outre-mer, les femmes des communautés locales subissent plus que tout autre les conséquences du réchauffement climatique qui impacte bien des pans de leur vie : la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable et même à l’éducation, renforçant les inégalités de genre. Traditionnellement en charge de la gestion des ressources naturelles et de la transmission des savoirs, les femmes ultramarines ont mis en place des solutions alternatives et sont aujourd’hui à l’avant-garde de stratégies nouvelles.
Sur tous les territoires, en raison de leur relation étroite avec leur environnement, elles jouent un rôle de premier plan dans sa préservation et la protection des écosystèmes dégradés comme en témoigne Anne Pastor avec enthousiasme : « À Rurutu, en Polynésie, le tressage de pandanus par les femmes est une alternative au plastique. Aux îles Marquises et à la Réunion, les plantes et les tisanes médicinales traditionnelles s’allient aujourd’hui à la biomédecine. Le long du lagon mahorais, le sel des Mamas Shingo et la pêche au djarifa permettent aux femmes de subsister, mais aussi de s’émanciper. En Guadeloupe, le jardin créole est à la fois une réserve de biodiversité et un lieu de résistance face à l'agriculture intensive. En Martinique, le Lasotè, cette tradition solidaire du travail de la terre, connait un renouveau. Et le modèle d’agroécologie béninois, Songhaï est adapté aux productions locales pour tendre vers l’autonomie alimentaire… ».
Anne Pastor poursuit : « Certaines de ces pratiques sont en voie de disparition. Les diffuser aux femmes des communautés, mais aussi aux plus jeunes permet de les sauver tout en valorisant la place des femmes. Ces savoirs pourraient être une solution aux conséquences du réchauffement climatique et au déclin de la biodiversité. En s’en inspirant, nous pouvons construire ensemble un monde plus juste et plus durable ». En Guyane, deux savoirs traditionnels sont valorisés dans le projet De la Mère à la Terre : l’agriculture sur brûlis, qui est un modèle de résilience face au changement climatique, et la poterie wayana.
La région du Haut-Maroni en Guyane et les femmes wayana
Située en Amérique du Sud et recouverte à 96% par la forêt amazonienne, la Guyane est le plus grand territoire d'Outre-mer et compte près de 300 000 habitants. Depuis plus de 30 ans, cette région de France est confrontée à une crise environnementale et sanitaire sans précédent, due à l'orpaillage illégal. Cette activité entraîne une pollution massive des fleuves et rivières au mercure, un métal extrêmement toxique, utilisé pour séparer l'or des autres minéraux. Outre cette pollution chimique, l'orpaillage illégal est responsable de la destruction de milliers d'hectares de forêt primaire. C’est la région du Haut-Maroni qui est la plus touchée. Les analyses effectuées chez les populations autochtones vivant en amont du fleuve Maroni révèlent des taux de contamination mercurielle alarmants, avec des effets dévastateurs sur leur santé. Les communautés autochtones, qui dépendent de la pêche et de la chasse pour leur subsistance, sont particulièrement vulnérables. Cette zone est en effet traditionnellement peuplée par les descendants des Marrons Aluku et par les Amérindiens wayana et apalais. La population amérindienne est estimée à environ 1200 personnes, réparties dans les deux principaux villages de la région, Taluen et Antécume-Pata.
Les villages wayana sont établis le long des fleuves pour satisfaire aux besoins de leurs habitants. Les habitations familiales sont des carbets rectangulaires surélevés, dotés de toits en feuilles tressées et meublés avec simplicité. Au cœur du village se dresse le tukuchipan, une structure collective de forme circulaire, dédiée aux visiteurs, aux rassemblements et aux célébrations. La vie quotidienne wayana est axée sur la communauté, avec une répartition des tâches et des échanges de biens au sein du groupe. Si les hommes pratiquent la chasse, la pêche et l'artisanat, les femmes se consacrent à l'agriculture, à la transformation des aliments, à la fabrication de boissons fermentées, au filage et au tissage du coton, à la poterie et à la confection de perles.
Ethnobotaniste au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, Marie Fleury a commencé à travailler dans le Haut-Maroni dès 1986 et s’intéresse aux Wayana depuis trois décennies. Son association Gadepam, qui valorise les savoir-faire traditionnels guyanais, est aujourd’hui soutenue par le projet De la Mère à la Terre. Marie Fleury explique la place des femmes chez les Wayana aujourd’hui : « Leur rôle est essentiel dans la transmission de la tradition et de la culture. Elles sont les piliers de la communauté : elles éduquent les enfants, pratiquent l'abattis pour assurer la subsistance familiale et perpétuent les activités culturelles ».
La culture wayana est profondément enracinée dans le chamanisme et l'animisme, avec une utilisation étendue de la forêt et des fleuves pour les nécessités matérielles comme spirituelles. Marie Fleury continue : « Tous les êtres vivants sont considérés comme ayant une âme et les esprits de la forêt, des animaux et des plantes jouent un rôle essentiel dans le maintien de l'équilibre du monde, où les hommes font partie intégrante d’un environnement naturel ».
Cette culture est aujourd’hui menacée : « L'abandon du chamanisme, pilier central de la culture wayana, a entraîné une crise sociétale majeure, avec une augmentation de suicides, en particulier chez les jeunes, les mères et même les chamanes, poursuit Marie Fleury. Ces suicides, qui rappellent les attitudes de résistance observées lors de la mise en esclavage, peuvent être interprétés comme une réponse aux pressions de l'orpaillage et aux chocs culturels liés à la mondialisation, tel que l'éloignement des enfants de leurs familles pour être scolarisés ». Ainsi, certains Wayana se réfugient dans la religion évangéliste.
Dans ce si difficile contexte, certains s'efforcent de préserver leur culture. Un conseil coutumier a été créé et le projet d’un collège à distance a été imaginé pour permettre aux jeunes de rester près de leur culture pendant leur adolescence, période cruciale pour l’apprentissage des traditions. Dans un tel environnement, la transmission des savoirs ancestraux est en effet capitale.
Sauvegarder les savoirs des potières wayana
La poterie wayana est un des savoirs détenus par les femmes, dont l’usage remonte en Amazonie à plus de sept millénaires. Transmis de génération en génération, cet art de la céramique est profondément ancré dans la culture et le mode de vie wayana, remplissant des fonctions à la fois pratiques, notamment pour la cuisine, et symboliques. Traditionnellement, les poteries cérémonielles sont utilisées par les chamanes pour la préparation de leurs pharmacopées, lors de rites d'initiation ou de fêtes, où certaines pièces sont destinées au matériel funéraire. La céramique wayana est un témoignage des liens qui unissent cette communauté à leur environnement naturel.
« Aujourd’hui, cet art est menacé, explique Marie Fleury, car seulement trois potières wayana exercent encore sur le Haut-Maroni. » C’est pour cette raison que des ateliers de transmission de ce savoir-faire traditionnel ont été organisés et animés par Marie Fleury au nom de l’association Gadepam, et financés par le projet De la Mère à la Terre : « Des dizaines de femmes ont été formées à Antécume-Pata et Cayenne. Les ateliers durent 4 à 5 jours et couvrent toutes les étapes de la fabrication, avec l'aide de plusieurs personnes. Certaines femmes découvrent la poterie pour la première fois, tandis que d'autres, comme une Amérindienne céramiste formée à Paris, souhaitent réapprendre les techniques traditionnelles ».
La fabrication de ces poteries est en effet un processus long et complexe, un réel travail de patience. Tout commence par la recherche de l'argile, une matière première rare et précieuse, qui est ensuite rapportée au village, séchée et réduite en poudre. Dans la mythologie wayana, l’argile se présente comme une femme, Kuliweli, qui fabrique les poteries et les distribue aux Wayana. La méthode du tour est inconnue des Amérindiens et les potières utilisent la technique du colombin. Le séchage à l'ombre est une étape cruciale, pendant laquelle les femmes gravent des motifs traditionnels sur la poterie. La cuisson, parfois double, se fait dans un four artisanal, avec des écorces sélectionnées avec soin. Une fois refroidies, les poteries sont modelées puis poncées de nombreuses fois pour obtenir une surface bien lisse et sont enfin enduites de sève, qui leur donne un aspect brillant et renforce leur étanchéité. « Aujourd'hui, les poteries sont parfois décorées avec des dessins inspirés de l'art du ciel de case (disques de bois peints de motifs allégoriques fabriqués par les hommes), ajoute Marie Fleury. L'art de la poterie wayana est en constante évolution, et les artisans réinventent des formes inédites à partir de ce savoir-faire ancestral ».
Inspirés par Kuliweli, plusieurs règles et interdits sont aujourd’hui encore observés par les potières, particulièrement à l'étape cruciale de la cuisson : la potière et toutes les personnes présentes dans l'atelier doivent s'abstenir de manger, de toute activité sexuelle, et ne doivent pas être indisposées ou enceintes. Le respect de ces exigences garantit la solidité des poteries, assurant leur longévité et leur utilisation sans failles au fil des années.
De nombreuses femmes des communautés sont désireuses d'apprendre ces techniques et de développer leurs compétences. Devenir potière peut leur permettre de diversifier leurs sources de revenus, notamment en combinant la poterie avec d'autres activités artisanales. Au-delà de l'aspect économique, la transmission de ces savoirs traditionnels aux générations futures contribue à préserver un patrimoine culturel unique et à renforcer le lien social au sein des communautés amérindiennes, une urgence dans le contexte de crise dans lequel les Wayana évoluent.
Des nouvelles du projet De la Mère à la Terre et de l’association En Terre Indigène
De nouveaux ateliers autour de la poterie wayana ont été organisés en février 2025 à Kayodé, où d’autres femmes ont pu être formées. L'association locale a entrepris une démarche de labellisation pour protéger l’artisanat wayana et notamment l’art des ciels de case, considéré comme un art spirituel. Les Wayana souhaitent ainsi revendiquer l’authenticité de cet art et éviter les copies et les dérives dans les reproductions.
Le projet De la Mère à la Terre a déjà mis en lumière 13 savoirs traditionnels en Outre-mer. Chacune des traditions est partagée avec les femmes des communautés locales lors d’ateliers de transmission dans les différents territoires ultramarins. En ce début d’année 2025, un nouveau savoir est en train d’être valorisé en Nouvelle-Calédonie, la médecine traditionnelle kanake. Avec les diverses vagues de colonisation et migrations, cette médecine s'est enrichie de nouvelles plantes et s'est métissée avec les savoirs d’autres cultures présentes en Nouvelle-Calédonie. Anne Pastor sera sur place en mars 2025 pour porter la voix des femmes kanakes. Enfin, en septembre 2025, « Les Rencontres du Matrimoine Ultramarin » seront organisées à Paris. Cet événement réunira 7 femmes d’Outre-mer et se tiendra dans plusieurs lieux de la capitale : l’occasion de découvrir leurs inestimables savoirs.
En savoir plus sur le projet sur le site web De la Mère à la Terre.
En savoir plus sur la culture wayana à travers le livre de Marie Fleury : « Arts traditionnels wayana-apalai : pour un label wayana-apalai en Guyane » aux éditions Gadepam.